Karajan et l’image
La célébration du Centenaire de la naissance du chef d’orchestre salzbourgeois avait été en 2008 le prétexte à la réédition de nombreux enregistrements réalisés par Karajan dans sa longue carrière discographique, des années 40 à la fin de sa vie, en juillet 1989. Elle a été aussi l’occasion de la publication de plusieurs essais et d’épais ouvrages iconographiques décrivant, en se gardant généralement des écueils d’une approche trop hagiographique, l’un des itinéraires de musicien les mieux documentés du xxe siècle. Retour minutieux sur la biographie, sur les ambiguïtés politiques des débuts de la carrière, son accommodement carriériste des règles de la vie musicale du national-socialisme, sa rivalité féroce avec Wilhelm Furtwängler et son omniprésence dans la vie musicale européenne, à partir de fiefs conquis de haute lutte, à Berlin, Vienne et Salzbourg.
La commémoration du Centenaire a aussi conduit les télévisions et les producteurs vidéographiques à diffuser de nombreux documentaires consacrés au célèbre chef d’orchestre. À l’exception du Maestro, maestro ! de Claire Alby et Patricia Plattner, malheureusement indisponible, plusieurs de ces films sont projetés dans cette semaine dédiée au musicien : le Karajan, la beauté telle que je la vois de Robert Dornhelm, le Karajan intime de Franck Chaudemanche et Alain Duault, le film de Georg Wübbolt, Karajan, le culte de l’image. Il est en effet intéressant de se pencher sur les rapports étroits que Herbert von Karajan a entretenu avec l’image ou, pour être plus exact, avec sa propre image dont il souhaitait qu’elle soit la plus parfaite possible afin qu’elle serve à la fois la musique et son art.
Se donnant les moyens de son ambition, Karajan fonda successivement la Cosmotel en 1966 (avec Leo Kirch) puis Telemondial (dirigée par son fidèle collaborateur Uli Märkle) qui produisit et distribua la majorité des films qu’il devait réaliser jusqu’à sa mort. C’est plus particulièrement cet aspect de la carrière de Karajan qui sera évoqué dans la thématique qui lui est consacrée : ces captations de concerts constituent aujourd’hui un fonds d’archives particulièrement précieux pour la connaissance du grand chef d’orchestre. Deux séances leur seront consacrées : depuis la captation du concert de Tokyo en 1957, les collaborations conflictuelles avec Georges Clouzot et Hugo Niebeling jusqu’aux filmages réalisés sous le contrôle direct du Chef d’orchestre.
Texte de présentation du catalogue des Films sur la Musique
Olivier Bernard et René Koering, lundi 11 juillet 2011, le Corum, salle Einstein
Herbert von Karajan et René Koering en 1979 à Salzbourg.
Photo P. VOLINSKY
Film du lundi 11 juillet
KARAJAN - LA BEAUTE TELLE QUE JE LA VOIS (T.O : Karajan - beauty as I see it)
Un film de Robert Dornhelm
2008, 92 min
Plus encore que l’évocation précise de sa carrière, depuis Ulm (où, dès 1929, il dirige l’Opéra de la Ville), à Aix-la-Chapelle (où ce travailleur auto-discipliné, d’une farouche détermination et même d’une nervosité explicite, frappe ses contemporains), de son allégeance, non-idéologique, malhabile, mais avérée au régime nazi (par opportunisme et par ambition) jusqu’à son retour à partir de l’automne 1947, quand il est autorisé à diriger à nouveau en Allemagne, de son travail avec les deux orchestres viennois, à la Scala de Milan et au Philharmonia de Londres, c’est la partie dédiée finalement à l’individu qui retient le plus l’attention. Musicien aguerri dont le savoir s’appuie sur un quotidien spartiate (lever à l’aube pour apprendre dans leur profondeur chaque partition... qu’il dirige ensuite, au sens propre, yeux fermés), Karajan est aussi un homme pressé, fou de technologies, ivre de vitesse, un pilote soucieux d’occuper tous ses créneaux de vol, un skipper chevronné, capable de diriger (comme ses orchestres) et d’une main experte les différents yachts dont il fut propriétaire...
L’homme de musique fut aussi cinéaste : c’est à Karajan que l’on doit finalement l’invention du film symphonique, certes après qu’il eut fait ses classes auprès de Clouzot, Reichenbach et surtout d’Hugo Niebeling qui réalisa le fameux témoignage légendaire de La Symphonie Pastorale de Beethoven. Ses propositions de films d’opéra, ses captations d’orchestre témoignent d’une même vision totalisante et unificatrice : pour lui, la beauté du son doit aussi s’accompagner de la beauté plastique et visuelle. La musique est une expérience esthétique, tel serait l’adage karajanesque que Dornhelm réussit à transmettre… La dernière partie concernant la collaboration des chanteurs tels René Kollo, Christa Ludwig, Brigitte Fassbaender qui témoignent de l’exigence de ce contrat d’excellence si lourd à porter avec le Maître, est passionnante, comme l’évocation très juste des différences de personnalités et de directions entre Karajan et Bernstein. Burton qui les a filmés, chacun avec les Wiener Philharmoniker, commente sans compromis ni faux semblant leurs caractères.
Mais ce que le portrait filmé donne aussi à voir, c’est l’humour du chef qui jusqu’à ses dernières années ne manque ni d’à propos, ni de malice, voire d’espièglerie ou d’autodérision, posture qui atténue quelque peu tout ce que l’on a dit et écrit sur sa figure impériale, raidie dans sa grandeur... À ce sujet, Simon Rattle apporte un témoignage bienveillant, plaidant pour un Karajan généreux, simple, à la différence de son entourage. Multiple, contradictoire, complexe, l’image de Karajan se précise pourtant par son perfectionnisme et son charisme exceptionnel. Le film évite la plupart des poncifs du genre. La diversité des documents, la palette des facettes abordées, doivent permettre de se faire sa propre opinion sur l’homme. Mais un aspect demeure peu discutable : la carrure du musicien qui fait de la musique, une vocation exclusive.
Extrait vidéo en allemand sous-titré anglais visible sur le site du producteur Unitel Classica
QUELQUES CITATIONS DE HERBERT VON KARAJAN EXTRAITES DU FILM
« / / / Il y a deux choses au monde où la dictature est nécessaire : l'armée et la musique.
L'individu ne compte pas. Seule l'intuition artistique compte. / / /
/ / / Je sais exactement quand un hautboïste risque
d'être à bout de souffle, et d'un petit mouvement,
je prends peut-être le passage plus rapidement qu'en répétition.
Le lendemain, il me dit : comment vous en êtes-vous
rendu compte ? Je lui dis : je le ressens très précisément.
J'ai compris pour la première fois cette phrase de Wagner :
"Si cette musique était jouée comme je me l'imagine,
elle devrait être interdite, parce qu'elle est trop dangereuse". / / /
/ / / J'aime mener une vie bien rangée et je ne fais aucun cas
des intuitions nées de l'ivresse ou de ce genre de choses.
Quand on se consacre à une œuvre nouvelle ou à une pièce
qui n'a pas été jouée depuis longtemps, il est tout à fait possible
qu'on l'écoute ou l'étudie, et qu'on y arrive pas.
Alors, il faut s'y atteler chaque jour à la même heure,
après s'être libéré de pensées parasites, et brusquement, ça y est.
J'ai l'impression d'avoir été chargé d'une mission,
et le Destin ou le Créateur m'ont accordé
une pléthore de moyens, que je dois gérer. / / /
Je veux que ça sonne bien, mais je veux aussi
que ce soit beau à regarder. La musique est
une incarnation de la beauté. / / / »
QUELQUES LIENS A EXPLORER
Le site officiel de Herbert Von Karajan, véritable mine d'or de documents écrits, sonores et vidéos
Sa biographie officielle (en anglais)