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jeudi 14 juillet 2011

CYCLE HERBERT VON KARAJAN

Film du jeudi 14 juillet


KARAJAN INTIME

Un film de Franck Chaudemanche et Alain Duault
2008, 52 min



À l’occasion du centième anniversaire de la naissance d’Herbert von Karajan, en 2008, Alain Duault avait tenté de décrypter la personnalité complexe et controversée du chef d’orchestre. Si Herbert Von Karajan est reconnu universellement comme l’un des très grands musiciens du xxe siècle, au-delà de son parcours à la tête des meilleurs orchestres européens, notamment Vienne, Paris et bien sûr Berlin, de sa discographie impressionnante, de son image démultipliée grâce au film et au DVD, sa personnalité à la fois très secrète et très exposée reste controversée.

La starisation d’un grand interprète n’est certes pas née avec Karajan, mais dans son cas, elle s’est trouvée démultipliée par la construction méticuleuse de son image et une maitrise avérée des médias. Son intransigeance musicale, son redoutable sens des affaires, mais aussi ses convictions spirituelles, son amour pour ses enfants et ses différents mariages, font du Karajan public un être complexe et difficile à appréhender. Que cachait-il derrière tous les clichés de façade : ses Porsche et ses Rolls, ses yachts ou ses voiliers, la comédie ininterrompue des mondanités, la mise en scène de sa vie familiale, ses pullovers à col roulé, son teint halé et ses lunettes de soleil… Image double car, comme l’écrit son biographe Pierre-Jean Rémy, il y a l’envers de la médaille Karajan. « Aujourd’hui encore, chaque fois que la vie de Karajan est évoquée, c’est bien souvent pour l’attitude qui fut la sienne pendant la Seconde Guerre, autant que pour la musique ». Aussi le film n’occulte-t-il pas la période la plus délicate de la biographie du chef, celle qui le voit en 1933, puis 1935, adhérer au parti nazi, mêlant opportunisme, ambition et talent pour être le premier... C’est que l’ascension de sa carrière a coïncidé exactement avec la montée de l’hitlérisme. Ainsi dès le printemps 1938, le 8 avril – moins d’un mois après l’Anschluss – Karajan, tout juste trentenaire dirigeait pour la première fois la Philharmonie de Berlin.


Mais la grande figure de Wilhelm Furtwängler admirée par Hitler et Goebbels, occupera jusqu’à la chute de Berlin, en mai 1945, la première place... Le spectateur apprendra, contre toute idée préconçue, que le jeune loup salzbourgeois n’a jamais réussi jamais à lever la méfiance et à gagner l’estime des dirigeants du régime hitlérien...

Parti à Salzbourg à la rencontre d’Eliette Mouret-Karajan, dernière épouse du chef d’orchestre qui partagea sa vie pendant plus de 30 ans, Alain Duault avait réussi à la convaincre de laisser entrer, pour la première fois, une caméra dans le chalet familial

=d’Anif, en Autriche, situé dans la campagne, près de Salzbourg, ville où le chef d’orchestre vit le jour en 1908. C’est dans sa maison d’Anif qu’il passa les dernières années de sa vie et qu’il mourut en juillet 1989.

Le film accueille aussi les témoignages de ses proches : Michel Glotz, producteur et impresario, Janine Reiss, chef de chant, Geneviève Geffray, conservateur en chef de la bibliothèque Mozart au Mozarteum de Salzbourg et celui de son biographe, Pierre-Jean Rémy.


Texte de présentation du catalogue des Films sur la Musique







Extrait vidéo visible sur le site de France 3


PRESENTATION DE LA SEANCE




LES INTERVENANTS DEBAT

Pascal Huynh

Musicologue et critique musical, Pascal Huynh, spécialiste de la musique de l'entre-deux-guerres, publie une foisonnante étude, La musique sous la République de Weimar qui devrait être suivi par un ouvrage sur la musique sous le IIIème Reich.
La toile de fond de ce livre est surtout le Berlin des années 20 où la société est en pleine mutation, après la cuisante défaite de l'Allemagne en 1918 et l'effondrement de l'Empire. L'auteur ne néglige pas pour autant la situation foyers musicaux en province, dans les anciennes capitales des royaumes de l'Empire. Les structures musicales en fait se réorganisent. On découvre que, comme les autres arts, la musique est enjeu idéologique dans une période de crise économique qui s'accompagne d'audaces créatives, comme si elle permettait d'échapper aux préoccupations du moment. Le foisonnement est réél et les frontières entre les genres disparaissent, le cabaret envahit l'opéra. L'expressionnisme est repoussé par des manifestations dadaïstes et anti-bourgeoises. L'Allemagne connaissant de 1924 à 1929 une période de stabilisation, la vie musicale est bouillonnante, avec l'émergence de personnalités fortes, notamment dans le domaine de l'interprétation comme les chefs Furwangler, Walter, Klemperer, Kleiber, le pianiste Schnabel, certains d'entre eux étant appelés à des postes de responsabilités.Pascal Huynh analyse les nouvelles tendances qui voient le jour, la musique communautaire, le fonctionnalisme, la "nouvelle objectivité" vers laquelle tend un Hindemith, et l'application de ces théories aux musiques pour la radio et le cinéma muet. La crise économique de 1929 va remettre tout en cause et les novateurs, bien que soutenus par la social-démocratie, doivent affronter le courant artistique conservateur inpiré par Hans Pfitzner et le parti National-Socialiste qui les assimile aux Bolchéviques. Arrivés au pouvoir, les nazis contraignent les musiciens d'origine juive à l'exil, Schoenberg, Schreker, Eisler, Weill, Krenek.

Franck Chaudemanche

Auteur et réalisateur pour la télévision, il a réalisé des magazines d’information thématiques, des documentaires pour la série C’est pas sorcier et des fictions pour Quelle aventure !, émission de télévision éducative au ton ludique. En 2008, il collabore avec Alain Duault à un portrait intime d’Herbert von Karajan.


RECONTRE DEBAT AVEC LE PUBLIC











QUELQUES LIENS A EXPLORER




Le site officiel de Herbert Von Karajan, véritable mine d'or de documents écrits, sonores et vidéos

Sa biographie officielle (en anglais)





L'AUTO-INTERVIEW D'UN BIOGRAPHE DE KARAJAN

(Extrait du livret du dvd Karajan, beauty as I see it de Robert Dornhelm / Deutsche Grammophon)

Un biographe de Herbert von Karajan, Richard Osborne, répond à ses propres questions sur Herbert von Karajan.


r.o. : Quelle a été votre première impression de Karajan ?


R.O. : En le voyant entouré de ses proches, je m'étais cru transporté à la cour de Napoléon. Mais en tête à tête, il m'avait surtout l'air d'un professeur extrêmement doué – à l'esprit clair, amusant, très bien informé, passionné par son sujet. Et il savait génialement amener ses musiciens à une œuvre nouvelle, en procédant étape par étape.


r.o. : Glenn Gould, pionnier de l'auto-interview, avait une grande admiration pour lui.


R.O. : Tous deux étaient des technophiles extrêmement intelligents, quelque peu renfermés, obédés par la musique. De plus, ils aimaient Sibelius -comment auraient-ils pu ne pas s'entendre ? Gould était captivé par les Sibelius de Karajan, « passionnés mais pas du tout sensuels », et il ajoutait : « C'est précisément cette dichotomie qui m'a rendu le grand Finlandais si attachant. » Il était également ravi par la révolution que Karajan et Henri-Goerges Clouzot avaient accomplie dans le domaine du film musical.


r.o. : S'entendaient-ils en concert ?


R. O. : Gould n'oublia jamais le jour où les musiciens du Philharmonique de Berlin franchirent allègrement un passage notoirement périlleux dans un concerto de Bach. Il leva les yeux pour voir ce que faisait Karajan : rien ! Et cela l'avait particulièrement réjoui !


r.o. : Karajan avait-il un secret ?


R.O. : Apprendre aux musiciens à s'écouter l'un l'autre. C'était son obsession et son talent singulier. Elmer Bernstein disait que le ragarder diriger était comme regarder un quatuor à cordes.


r. o. : Karajan et Gould n'étaient-ils pas diamétralement opposés s'agissant de Bach ?


R.O. : Mais quel Karajan ?


r.o. : Je pensais qu'il n'y en avait qu'un ..


R.O. : Pas du tout. Si vous regardez sa carrière, il était multiple. Celui qui jouait un Bach quasi authentique avec Gould était le même Karajan qui émouvait les auditeurs aux larmes avec sa grandiose lecture romantique de la Passion selon Saint Mathieu au Festival Bach de Vienne en 1950. Il pouvait donner une bonne interpétation d'à peu près tout, et un etrès grande interprétation de beaucoup d'oeuvres. Et il pouvait le faire, s'il y était enclin, dans des styles très différents.


r.o. : Alors, un vin difficile à reconnaître dans une dégustation à l'aveugle ?


R.O. : Très difficile. Les étiquettes accolées à Karajan agaçaient beaucoup Carlos Kleiber. Il disait qu'on pouvait seulement juger le maestro K. dirigeant l'oeuvre X. , et non le maestro K. de manière générale.


r.o. : Comment Kleiber voyait-il Karajan ?


R.O. : Comme un chef d'une catégorie à part. Il disait qu'on était si obsédé par le côté commercial de l'image de Karajan qu'on perdait complètement de vue ses qualités de musicien.


r.o. : Le « son » Karajan semble encore obséder le public.


R.O. : L'idée d'une sonorité Karajan unique et homogène est un mythe colporté par ses détracteurs. En fait, il avait un vrai génie pour créer une palette sonore spécifique à une œuvre. Et c'est ce qqui en faisait un interprète caractéristique de compositeurs aussi différents que Sibelius et Puccini.


r.o. : L'emploi excessif du legato en dérangeait certains.


R.O. : Le seul compliment que Furtwängler ait jamais fait à Karajan était qu'il savait obtenir un vrai legato, « la chose la plus difficile dans tout l'art de la direction. » C'est crucial dans l'opéra, où Karajan, comme Furtwängler, était un accompagnateur extrêmement doué. Mais il pouvait être excessif.


r.o. : Otto Schenk a dit : « Karajan n'était pas seulement un musicien, il était toute une époque. »


R.O. : Ce qui est vrai. L'un de ses premiers souvenirs est d'avoir vu le convoi naval qui transportait les corps de l'archiduc et de son épouse assassinés de Sarajevo à Trieste en 1914. Il vécut deux guerres mondiales et la guerre froide, et mourut quelques semaines seulement avant la chute du mur de Berlin. Il était fondamentalement apolitique, comme dit Helmut Schmidt. Mais il était également hanté par la guerre.


r.o. : Cela affectait-il sa manière de faire de la musique ?


R.O. : Profondément. Bon nombre de ses plus grandes interprétations orchestrales concernent des œuvres qui préfiguraient la guerre ou incarnaient un état de « catastrophe complète », comme il disait : la Quatrième de Sibelius, la Sixième de Mahler, les Trois Pièces pour orchestre de Berg, la Symphonie liturgique de Honneger, la Dixième de Chostakovitch. Arabel von Karajan m'a confié que si son père avait été compositeur, il aurait aimé être Chostakovitch, qui a su parler au nom de l'époque que les deux hommes ont traversée.


r.o. : René Kollo décrit Karajan comme un « Machiavel avec une âme d'enfant ».


R.O. : D'autres ont fait des remarques comparables. Michel Gloltz le décrivait comme un amalgame d'enfant et de vieux sages chinois. Et puis il y a la merveilleuse remarque de Sir Isaiah Berlin : « un génie -avec un relent de soufre ». Karajan était timide, exigeant, habile, manipulateur, et très bon acteur. Christian Thielemann emploie le mot « garnement », qui est également celui que Richard Strauss utilisa lorsqu'il le vit diriger Elektra par cœur à Berlin en 1941.


r.o. : Pour connaître le « vrai » Karajan, était-il indispensable de l'entendre en live, et au théâtre lyrique ?


R.O. : Sans doute. Cet Otello stupéfiant que Mariss Jansons décrit de manière si frappante est un bon exemle. L'enregistrement que grava Karajan de La Bohème avec Freni et Pavarotti est d'une beauté éthérée extraordinaire. Mais écoutez l'interprétation fulgurante, débridée, qu'il dirige live à l'Opéra de Vienne en 1963 et vous êtes dans un autre monde.


r.o. : Ses racine autrichiennes étaient profondes, mais dans quelle mesure était-il un chef typiquement allemand ?


R.O. : A certains égards, il ne l'était pas du tout. La seule fois où Hitler l'entendit diriger, il trouva que ses Maîtres chanteurs étaient insuffisamment « allemands ». Karajan était un Salzbourgeois, et comme l'enfant le plus célèbre de Salzbourg, il était extraordinairement ouvert aux influences venues d'ailleurs : d'Italie et de France, en particulier. Je ne vois aucun autre chef d'Autriche ou d'Allemagne qui ait été à ce point vénéré comme inerprète de la musique italienne en Italie même.


r.o. : Est-ce une bonne chose ? Je n'imagine pas Furtwängler perdant son temps avec Cavaleria et Pagliasse.


R.O. : C'est la vieille histoire de Beecham : quelqu'un de singulier qui fait paraître vraiment extraordinaire une musique qui n'est pas si extraordinaire. En Italie, on parle de l'interprétation de Cavalleria et Pagliasse « avant Karajan » et « après Karajan ».


r.o. : Quel souvenir faut-il en garder ?


R.O. : J'aime le considérer comme un superbe artisant-chef qui connaissait vraiment son métier. Lui et Carlos Kleiber n'étaient pas uniquement facétieux lorsqu'ils signaient leur billets l'un à l'autre « Kapellmeister, Salzbourg », « Kapellmeister, Munich ». Pour aller plus loin, il était un homme extraordinaire qui vécut à une époque extraordinaire. L'un des hommes les plus remarquables de son temps.


(Traduction : Dennis Collins)

Herbert von Karajan : A life in Music de Richard Osborne est publié par Pimlico (Londres 1998/R2008) ; trad. fr. : Une Vie pour la musique, L'Archipel, 1999)