UNE LECON PARTICULIERE DE MUSIQUE
AVEC RENE JACOBS
Un film de Claude Mouriéras
1987, 56 min
Photo © François Manceaux
Ce film est le premier de la collection des Leçons particulières de musique. Entre 1987 et 1991, la Sept, puis Arte ont diffusé douze films, douze leçons de musique initiées par Olivier Bernager et François Manceaux. Loin de se contenter de capter de simples master-classes, les deux auteurs de la série et les réalisateurs des films (par exemple Catherine Zins pour Gérard Poulet, Jean-François Jung pour José Van Dam, Michel Follin pour Kenneth Gilbert et Marek Janowski, Jacques Renard pour Scott Ross…) nourrissaient des ambitions esthétiques et pédagogiques clairement affirmées. Discrètes, mais attentives à l’émotion de la transmission musicale, les caméras des Leçons particulières ne cherchaient pas à divertir, mais à témoigner et à garder trace d’un moment particulier de l’interprétation.
Au-delà de la rencontre ponctuelle avec un interprète, il s’agissait de familiariser les spectateurs avec le répertoire classique et contemporain en montrant l'élaboration d'une interprétation et en révélant le travail, en général secret, qui précède le concert. En réunissant un maître et son élève, ces leçons s'efforçaient de mettre au jour la relation particulière qui naît entre eux, dans un cadre intime.
Bien qu’à l’origine, le film ait été conçu en 1987 comme un pilote pour la chaîne Arte naissante, René Jacobs, au sommet de son art vocal, accepta de participer à l’aventure. Il s’agit aujourd’hui d’un document historique pour l’interprétation de la musique baroque en général, et de celle d’Haendel en particulier. René Jacobs y donne une leçon d'interprétation de la musique de ce compositeur à deux futures chanteuses professionnelles, Maria Cristina Kiehr et Susanne Ryden, deux de ses élèves à la Schola Cantorum Basiliensis. Dans une villa toscane de Montepulciano, les deux jeunes sopranos travaillent, l'une l'opéra Alessandro, l'autre un air de concert Mi Palpita Il Cor. L'absolue virtuosité de ce bel canto naissant s'exprime ici dans toute la pureté du style baroque : de la compréhension du texte aux secrets de l'ornementation vocale. A la fin, René Jacobs convie quelques amis et chante lui-même quelques airs. Il parle également de son parcours, ainsi que de son point de vue sur l'interprétation de la musique et de la musique baroque, en particulier.
René Jacobs, qui fut un disciple d'Alfred Deller, était considéré comme l’un des contre-ténors majeurs de sa génération. Sa technique particulière de chant mixe sa voix de ténor naturelle et son registre de tête d'alto : cette mezzana voce ou "voix moyenne" le distingue d'autres falsettistes qui n'utilisent que le registre de tête, généralement limité en puissance. Il a interprété à l'opéra des rôles comme L'Orphée de Gluck ou Admeto d’Haendel. Sa maîtrise vocale et sa parfaite connaissance des styles en font à la fois un interprète et un professeur recherché. Il a chanté Scarlatti, Cesti, Monteverdi, Schütz, Bach, Cavalli... Son approche cultivée et sensible, ses remarques passionnantes et sa conception très personnelle de l'interprétation de la musique, qui doit être en quelque sorte recréée par l'interprète, sont là tout entières: la justesse historique et technique d'une œuvre devant rencontrer la vérité d'un interprète afin de redonner pleinement corps à la musique originelle.
Cette recherche de la vérité dans l’expression musicale guidera toujours le travail du chef d’orchestre qu’il est devenu par la suite. En tant que chef, il a effectué d’importantes recherches sur des manuscrits en réécrivant l’instrumentation et l’ornementation des parties vocales. Il a progressivement élargi son répertoire à des œuvres majeures de l’ère classique, en particulier d’Haydn et Mozart.
OLIVIER BERNAGER. Après des études de philosophie et d'hébreu et une solide formation musicale en autodidacte (Piano, Ecriture, Esthétique musicale), Olivier Bernager se fait connaître en participant à la revue « Musique en Jeu » et en animant divers forums de musique contemporaine. Remarqué par le Direction de France Musique, il y fait ses débuts en 1974. Avec cinq de ses collègues, il participe à la création du « Matin des musiciens », émission pour laquelle il produit une trentaine de séries.
A partir de 1979, il se spécialise dans les magazines d'actualité avec notamment « Les champs de la terre » sur la musique traditionelle, « Microcosmos » sur l'éducation musicale. Après quatre années de 18h00/20h00, il anime pendant plusieurs années les matinales (7h00/9h00) de France Musique : « L'imprévu », et « Musique Matin ». A partir de 1998 il est responsable de plusieurs émissions de débat dont : « Le Conservatoire » et « Ouvert le Dimanche », puis se tourne vers la programmation avec « Le cabinet de curiosités » et son émission actuelle : 'XXème Parralèle ».
A travers une Société de Production de Documentaires qu'il créée en 1995, Ludwigvan, il produit des portraits d'artistes réalisés par Michel Dieuzaide : « Madeleine, épouse Milhaud », « Humair, solitaire solidaire », « Vlado Perlemuter, un pianiste ». Il produit et réalise également plusieurs spots publicitaires TV pour Sony et Philips ainsi que des films institutionnels. Pour la télévision, il est co-auteur avec François Manceaux de la collection « Une leçon particulière de musique » (Production Com'unimage) dans laquelle il insuffle les mêmes principes d'exigence que pour ses émissions de radio. Cette collection est éditée en 2011 sous le label Harmonia Mundi et fait l'objet d'une rediffusion complète par Arte pour l'anniversaire de ses 20 ans. Cet événement le conduit à créer avec François Manceaux le label Okarinamusique.com pour valoriser la « pédagogie musicale en images ». Il est l'auteur de nombreux articles (Encyclopedia Universalis, Monde de la Musique, Classica...), d'un recueil de poésies publié chez Cadex Editions et d'une série de nouvelles. Il est aussi un pianiste amateur passionné et averti.
Photo © Radio France
Présentation du film
Comme il n’en parlait qu’à mots couverts et très rarement, personne ne pouvait savoir en 1987 que René Jacobs envisageait de passer à la direction d’orchestre.
Tourné par Claude Mouriéras en super-16, nous assistons dans cette « Leçon particulière » aux cours donnés dans une villa de Montepulciano en Toscane à deux de ses jeunes élèves de la Schola Cantorum Basiliensis où il est un professeur recherché. Celles-ci deviendront à leur tour des cantatrices reconnues : elles se nomment Maria Christina Kiehr et Suzan Rieden. Jacobs est au clavecin qu’il joue avec délectation et chante les exemples qu’il donne.
Le tournage en film, « à l’ancienne », implique une rigueur que ne connaît pas le numérique : chaque bobine dure 12 minutes ! Et malgré cette difficulté, la pertinence de ses remarques, ses yeux rieurs, son sourire et sa manière directe d’exprimer les finesses de l’art vocal baroque ont un pouvoir de communication qui nous touche plus de vingt ans après. Ses précisions sur l’approche du texte et sa prononciation, sur l’univers baroque, ses conventions et ses usages n’ont rien perdu de leur actualité : au contraire, elles sont au centre de son travail de chef d’orchestre. La dernière scène du film est une impressionnante interprétation de « Mi palpita il cor » de George Frederic Haendel avec trois des meilleurs musiciens de style baroque de l’époque, Marc Hantaï (flûte,), Roël Dieltiens (violoncelle) et Yvon Repérant (clavecin). Jacobs chante ce qu’il vient d’expliquer et la musique s’éclaire pour le spectateur.
Olivier Bernager
FRANCOIS MANCEAUX. Dès l’âge de 15 ans, François MANCEAUX se passionne pour le film en Super 8 et réalise pendant l’adolescence, deux longs-métrages de fiction et un documentaire.
Il entame sa carrière dans le monde du cinéma en 1970 et effectue une quinzaine de longs métrages comme assistant au montage, à la réalisation et à l’image. Après une spécialisation à l’Ecole Nationale Louis Lumière, il devient opérateur, et réalise ses premiers films comme cinéaste documentariste en 1982. Il ouvre sa maison de production en 1983 (PMA / COM’UNIMAGE), réalise et produit une cinquantaine de films documentaires, pour le câble, la Sept Arte, Canal Plus et France Télévision. En 1992, il obtient notamment diverses récompenses : Prix du Public du Festival de Reims, Prix Média de la Fondation de l’Enfance pour son travail sur les relations parents-enfants diffusés sur Canal Plus, ainsi qu’un prix spécial du Festival de Biarritz pour son travail audiovisuel auprès du Conseil National de Prévention de la délinquance.
Parallèlement, Il cofonde deux associations de documentaristes, « ADDOC » et « Club du 7 Octobre », dédié aux producteurs indépendants de documentaires. En 1995, son engagement le conduit à une réflexion action sur l’expression citoyenne participative à travers le monde de la télévision. Durant cette période il œuvre également avec Alain Lebaube (Le Monde Initiatives) à une enquête d’investigation intitulée « Système de crise ». En 1996, il présente le concept Télé Création Citoyenne sur la place publique qui deviendra également une S.A. permettant d’obtenir le conventionnement en 1997 de la part du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, et une reconnaissance de l’ensemble des médias. En 1998, il crée Création Citoyenne Multimédia, société de production multimédia pour se lancer dans l’aventure pionnière de la télévision sur Internet avec Citoyenne TV, 1ère Net TV participative. Citoyenne TV et TCC sont alors devenues des chaînes qualifiées d’historiques au début de cette nouvelle ère numérique.
En 2002, il propose ETHICA TV (axée sur le développement durable) aux grands acteurs de l’économie sociale et solidaire pour accéder aux nouveaux bouquets de chaînes du réseau hertzien numérique.
Il fonde PRP Conseil, société de production et d’ingénierie conseil Internet Télévision et Scopapresse, une association d’agences de presse plurimédia, qui portera le projet de chaîne PARISPHERIE TV, une expérimentation d’un an de production et de diffusion hertziennes sur Paris auprès du CSA. En 2003, il se recentre sur son travail d’auteur-réalisateur, et écrit son premier scénario de long-métrage intitulé « A comme Victoire », où il transpose en récit fictionnel son aventure de journaliste au sein de la télévision citoyenne. En 2004, il s’investit dan l’écriture de son premier roman. En 2005, il tourne son premier long-métrage documentaire « Quand la vigne dort…. » (Sélection FIPA 2007) Filmant ainsi la chronique d’une lutte citoyenne menée par les viticulteurs du Gard. De 2006 à 2009, il entame un film documentaire avec le peintre Gérard Fromanger et expose son premier travail photographique (Reprendre le temps) à Arles, lors de l’été 2009. Il travaille actuellement à l’écriture et à la préparation de son premier film de fiction, dont le tournage est prévu en 2011.
Publié par François Manceaux sur son site officiel
RENCONTRE-DEBAT AVEC LE PUBLIC
DES DOCUMENTS POUR ALLER PLUS LOIN
René Jacobs
Biographie officielle publiée sur le site d'Harmonia Mundi
Par Teresa Pieschacon Raphael
- Le rapport aux traditions est-il différent pour quelqu’un comme vous, qui a grandi en Belgique, dans une monarchie ?
Chez nous, la monarchie est plutôt quelque chose de folklorique, bien que j’en perçoive aussi le côté émotionnel. A la mort du Roi Baudouin, il n’y avait plus de disputes entre Flamands et Wallons. Ils sont tous allés lui rendre hommage au palais. Ils l’ont aimé. C’était une monarchie « éclairée », mais je ne pense pas que cela joue sur le rapport qu’on a au passé ou aux traditions. Une partie du public considère la musique classique comme la musique de la cour. Mais toute la musique n’y était pas jouée. Il est vrai qu’aucun compositeur ne pouvait survivre sans travailler pour la cour ou pour l’église. Mais en fait, la musique vient de son for intérieur.
- Vous-même, vous venez de Gand.
Oui, j’y suis né en 1946. Je suis issu d’une famille de quatre enfants, mes parents n’étaient pas musiciens mais il y avait des influences musicales du côté de ma mère. Pour moi, la musique a commencé à la chorale d’enfants de la cathédrale de Gand : j’y ai chanté des chants grégoriens, des motets, et, chaque année, la passion selon Saint Matthieu de Bach. J’avais une bonne voix de mezzo-soprano.
- Comment y était la vie pour un jeune garçon ?
Ce n’était pas un internat, j’habitais à Gand. Nous étions formés dans une très bonne école pour chanter des chants grégoriens chaque dimanche, et des motets à toutes les fêtes religieuses. J’ai chanté Palestrina, Victoria, Lasso et, je vous l’ai dit, la passion selon Saint Matthieu. Ce fut un véritable tournant dans mon existence, pour la première fois, j’ai pensé que je voulais être chanteur plus tard. Je n’ai jamais rêvé de diriger. Cela m’est tout simplement venu plus tard.
- De nombreux compositeurs et musiciens ont débuté leur parcours musical dans une chorale d’enfants.
Oui, et c’était une tradition magnifique qui s’est malheureusement perdue de nos jours, à part peut-être en Angleterre. L’Angleterre a de très nombreux chanteurs de qualité, issus de cette tradition. Les pays qui ne l’ont plus en souffrent sur le plan musical. C’est le cas de l’Italie. Comparez la chorale de la chapelle Sixtine avec celle de Westminster. Elles sont à des années-lumière l’une de l’autre !
- A quoi est-ce dû ?
Au XIXème siècle, qui a amené le gigantisme dans la vie musicale. Les grandes salles de concert, les grands orchestres symphoniques et surtout Wagner ont beaucoup nui. Tout est la faute de Wagner. Il a laissé une ombre incroyable qui a déterminé la vie musicale, qui la caractérise encore aujourd’hui. La plupart des gens sont post-Wagnériens. Il est comme un esprit effroyable qui nous hante. Mais l’Italie n’est pas épargnée, avec Puccini…
- Vous parlez de compositeurs vénérés avec fanatisme, considérés comme des monstres sacrés.
Oui, je sais. Mais ça ne me fait rien. Autrefois, il y avait une superbe culture d’ensembles en Italie. Les ensembles vocaux du XVIème siècle, les compositeurs de madrigaux, c’était le summum de l’ensemble vocal. Puis tout a disparu. Je trouve cette évolution extrêmement déplorable et unidimensionnelle. L’Italie était le pays de la culture, tant qu’elle n’était pas unifiée et qu’elle avait ses cités-Etats comme Florence, Venise, Bologne etc. Avec l’unification de l’Italie au XIXème siècle, le déclin de la culture a commencé. En Espagne par exemple, un pays qui n’a pas une grande histoire musicale comme l’Italie, l’intérêt est plus grand, les Espagnols sont plus ouverts aux choses nouvelles, ils ont davantage de mécènes pour leur propre culture. Les Italiens ne sont pas fiers de leur culture.
- Dans une interview, vous vous plaigniez de la structure maffieuse de l’art en Italie. Sans vouloir changer de sujet, des bruits peu flatteurs couraient à un moment sur la Belgique…
Oui, vous avez raison. Mais vous n’êtes pas au courant (rires) ? La Belgique n’existe pas. La Belgique est une invention. Elle est un pays d’opéra puisqu’elle a été créée après une représentation de « La Muette de Portici » de Daniel François Esprit Auber. La représentation a déclenché la révolution en Belgique et entraîné la séparation d’avec les Pays-Bas. Nous l’avons appris à l’école, nous y avons chanté les chants patriotiques de l’opéra. Je me sens Belge, mais je résonne entièrement en Flamand, bien que je n’aie jamais été un extrémiste.
- On dit parfois que vous êtes contre-ténor, parfois alto. Pouvez-vous nous préciser la différence ?
En fait, il n’y a pas de différence, juste de la confusion. Le terme de contre-ténor n’existe pas en allemand. La polyphonie est apparue au moyen âge comme ceci : à la voix principale, le ténor, sont venues s’ajouter une puis deux voix. L’une plus aiguë, qu’on appela contratenor altus, l’autre plus grave, contratenor bassus. Puis une autre est apparue, qu’on appela cantus. Ainsi sont apparus les termes d’alto et de basse. Il est donc illogique de parler seulement de contre-ténor. Théoriquement, les hommes adultes peuvent chanter en alto, ils chantent alors dans le registre falsetto et il y a alors deux techniques différentes. Il y a ceux qui chantent tout en falsetto et ceux qui associent le registre falsetto avec la voix de poitrine. J’ai toujours utilisé cette dernière technique.
- Avant de devenir chanteur, vous avez dirigé un théâtre de marionnettes.
C’est quelque chose qui m’a profondément marqué : mon père m’a fabriqué de ses propres mains un théâtre de marionnettes et me l’a offert quand j’étais petit, avec des poupées qu’il avait achetées dans un magasin de jouets. Il avait écrit de petites pièces, des scénarios pour que je joue avec deux poupées. Très vite, je me suis ennuyé avec deux marionnettes, il m’en fallait une troisième pour avoir une intrigue. J’en ai alors acheté deux de plus et ma sœur a joué avec moi. J’ai ensuite travaillé sur les pièces, en les rendant plus compliquées. Et quand ma deuxième sœur est arrivée, le tout a vraiment commencé à prendre tournure. Vous voyez, les opéras baroques n’ont rien de nouveau pour moi (rires) !
- Et dans la vraie vie, vous faîtes aussi le guignol ?
Non. (Rires). Dans la vie, il faut éviter les intrigues compliquées.
- Vous étiez très jeunes quand vous avez fait vos premiers pas à la direction.
Je n’étais pas tant directeur que dramaturge.
- Serait-ce la raison pour laquelle vous êtes de moins en moins chanteur et de plus en plus metteur en scène ?
J’ai remarqué au fil du temps que j’étais bon chanteur, mais pas bon acteur. C’est pourquoi je me produis de moins en moins sur scène. Peut-être suis-je né trop tôt. De mon temps, il n’y avait que peu de contre-ténors. Aujourd’hui, avec cette voix, j’aurais bien de possibilités de m’épanouir en tant qu’acteur. Il y a maintenant beaucoup d’opéras baroques et de metteurs en scènes habitués à travailler avec des contre-ténors manquant d’expérience en tant qu’acteur. J’ai fait un grand nombre d’opéras sous forme de concerts et d’enregistrements. J’ai toujours eu la fibre dramatique en moi, sans être capable de l’exprimer.
- Peut-être n’avez-vous jamais ressenti le besoin narcissique de vous représenter vous-même.
Oui, c’est peut-être ça. Quelque part, je suis quelqu’un de timide.
- Votre expérience de chanteur doit vous permettre de savoir les choses à ne pas faire quand on dirige des chanteurs.
Oh, c’est une bonne remarque. En tant qu’ancien chanteur, je ne saurais demander aux chanteurs ce dont je ne suis pas capable. J’ai beaucoup d’admiration pour les chanteurs d’opéra, c’est un travail très exigeant sur le plan physique. Bien chanter ne suffit pas, il y a tout le jeu d’acteur, les mouvements sur scène. Il faut avoir beaucoup de patience. D’un autre côté je remarque rapidement certaines choses, étant chanteur. Il y a un type de chanteurs que j’ai du mal à supporter : les vaniteux. On voit beaucoup de narcissisme. Dans le même temps, beaucoup sont repliés sur eux-mêmes. C’est un métier solitaire. Le chanteur est toujours fragile car son corps est son instrument. Le chanteur a toujours peur de prendre froid, que plus rien ne fonctionne. On en devient égocentrique. Je suis divorcé, j’ai quatre enfants, ils ont tous la vingtaine. Ma femme actuelle est dans le métier, elle est d’un grand soutien. Sans elle, j’aurais beaucoup plus de mal.
- Revenons au théâtre de marionnettes: quand vous interprétez, vous n’avez que peu le contrôle des choses, mais beaucoup plus quand vous dirigez.
C’est vrai. Un simple chanteur dans une production dont il n’aime pas la mise en scène n’a que peu de chances de s’épanouir. A moins d’être célèbre et de s’imposer. J’ai souvent dû faire contre mauvaise fortune bon cœur. Je le vois maintenant dans mes productions, certains acteurs sont mécontents. Le plus grave est la toute puissance du metteru en scène, un phénomène de notre temps. Cela s’inscrit dans la logique d’une évolution de l’opéra que je juge malsaine. Au commencement de l’opéra, au XVIIème siècle, les choses étaient en ordre. C’était « dramma per musica ». Pas d’arias, seules quelques envolées lyriques, les dialogues étaient à moitié parlés, à moitié chantés. Mais très vite, l’horloge s’est déréglée. Les arias gagnaient en importance, les récitatifs en perdaient. Le chanteur était trop puissant. Puis vint la période du compositeur tout puissant qui monopolise l’attention, ce dont Wagner est le meilleur exemple, à mon avis. S’en suivit l’époque du metteur en scène. Pourtant il ne devrait jamais y avoir une personne toute puissante. Un opéra n’est bon que lorsqu’il y a travail d’équipe, quand personne n’évince l’autre.
- Quand verrons-nous enfin des opéras sans uniformes de SS, sans prisonniers de camps de concentration, sans allusions à telle ou telle guerre actuelle ?
Effectivement, la plupart des metteurs en scène cherchent à montrer leurs propres fantasmes plutôt que la pièce. On appelle cela le « Regietheater » (théâtre des metteurs en scène), un terme affreux et une invention typiquement allemande. Les Allemands ont toujours aimé prendre des airs professoraux, cela n’a rien de nouveau. Déjà, la nature baroque allemande était donneuse de leçons. On le voit aux titres…
- ... comme le titre allemand de Croesus (la présomption, la chute et le retour en grâce de Croesus) , l’opéra de Reinhard Keiser que vous avez aussi mis en scène…
Oui. En Italie, il serait juste intitulé « Croesus ». Je ne pense pas que le théâtre doive être professoral. Il doit éventuellement pousser à la réflexion, mais ne pas avoir envie de réfléchir ne signifie pas qu’on est un être inférieur. Les Allemands ont du mal à le comprendre, ils ne pensent pas que le théâtre a le droit de simplement divertir.
- Le système de subventions en Allemagne entretient cette arrogance: les metteurs en scène n’ont pratiquement pas à se soucier des recettes.
Cette arrogance m’énerve. Elle se développe dans une société repue, suffisante. Le côté professoral a toujours été présent dans la nature allemande. Ils sont peut-être trop protestants. Je ne sais pas.
OKARINAMUSIQUE
Okarinamusique, pourquoi ?
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Classique, contemporaine, jazz ou world, il suffit que des musiciens vous expliquent simplement ce qu'ils font et c'est gagné !
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