KARAJAN, LE CULTE DE L'iMAGE (T.O : Herbert Von Karajan, Maestro for the screen)
Un film de Georg Wübblot
2008, 53 min
Les concerts filmés dans les salles de concert ou en studio sont un aspect particulièrement spectaculaire du « système Karajan ». L’apport du chef d’orchestre dans le domaine du film et de l’image explique en quoi sa présence 103 ans après sa naissance et plus de 20 ans après sa mort, reste vivante, incontournable pour le mélomane et toujours captivante. L’homme et l’artiste ont laissé un héritage qui nourrit leur légende. Karajan a investi son temps, ses ressources et son énergie dans le cinéma, puis dans la télévision, dans les vidéogrammes enfin plus que n’importe quel chef d’orchestre de son époque. Car plus encore que les enregistrements sonores, ce sont les films qui l’ont passionné.
Herbert von Karajan a toujours été à la fois un esthète, un perfectionniste et un pionnier des techniques audiovisuelles. Aujourd’hui encore, le langage visuel et les règles qu’il avait mis au point en autodidacte – sur la manière de filmer l’orchestre et les solistes, sur la mise en scène de ses propres apparitions – peuvent demeurer encore une référence pour tous ceux qui adaptent des opéras et des concerts à l’écran, même si aujourd’hui la rhétorique visuelle qu’il a élaborée (solennité, frontalité, exaltation emphatique de la figure du chef d’orchestre) ne correspond plus tout à fait à la grammaire actuelle de la captation. Pour répondre aux exigences de Karajan, les équipes de tournage durent réaliser de véritables prouesses. Compte tenu des fortes personnalités dont le chef d’orchestre s’entourait, les tensions furent fréquentes. Le film de Georg Wübbolt accueille les témoignages de certains de ses plus proches collaborateurs tels le chef opérateur Ernst Wild, la monteuse Gela Marina Runne, le réalisateur Hugo Niebeling et les producteurs Horant Hohlfeld, Günther Breest, Norio Ohga et Peter Gelb. Tous racontent comment il avait inventé une façon de filmer la musique qui restait indissociable de ses conceptions musicales.
Seul le réalisateur Hugo Niebeling avait trouvé quelque grâce à ses yeux avant le choc d’une éclatante rupture. C’est Karajan, et lui seul, qui eut toujours le dernier mot. Il crée Telemondial, une société de production pour lui permettre de constituer un trésor qu’il entendait laisser à la postérité. Les firmes discographiques EMI et Deutsche Grammophon en assurent l’exclusivité. Pour les musiciens des Orchestres Philharmoniques de Berlin et de Vienne, c’est une manne financière importante et leur engagement est total en dépit des fréquentes et sérieuses périodes de tensions entre le chef et ses orchestres.
Féru de technologies, Karajan fut, grâce à son amitié avec Akio Morita, cofondateur de Sony et inventeur du Compact Disc, le premier chef à enregistrer La Neuvième Symphonie de Beethoven sur ce format. « Sony lui déroule le tapis rouge et équipe son domicile des technologies dernier cri avec un mur de 12 moniteurs comprenant 6 retours caméra, 4 d’entre eux montrant son visage, 2 pour le profil gauche et 2 pour le profil droit. Toute son attention se concentre alors sur ces moniteurs pour choisir son image », raconte Peter Ring, son technicien vidéo. Maître de sa technique audiovisuelle, Karajan a mis au point un langage visuel et des règles sur la manière de filmer l’orchestre et les solistes, sur la mise en scène de ses propres apparitions, qui ont fait date. Il déclarait : « Je sais que je suis capable de transposer une idée musicale en conception visuelle. Parfois, je ne pouvais plus supporter ce qu’on m’imposait. Il valait mieux que je fasse ce travail moi-même ».
L'INTERVENANT DEBAT
Pascal Huynh
Musicologue et critique musical, Pascal Huynh, spécialiste de la musique de l'entre-deux-guerres, publie une foisonnante étude, La musique sous la République de Weimar qui devrait être suivi par un ouvrage sur la musique sous le IIIème Reich.
La toile de fond de ce livre est surtout le Berlin des années 20 où la société est en pleine mutation, après la cuisante défaite de l'Allemagne en 1918 et l'effondrement de l'Empire. L'auteur ne néglige pas pour autant la situation foyers musicaux en province, dans les anciennes capitales des royaumes de l'Empire. Les structures musicales en fait se réorganisent. On découvre que, comme les autres arts, la musique est enjeu idéologique dans une période de crise économique qui s'accompagne d'audaces créatives, comme si elle permettait d'échapper aux préoccupations du moment. Le foisonnement est réél et les frontières entre les genres disparaissent, le cabaret envahit l'opéra. L'expressionnisme est repoussé par des manifestations dadaïstes et anti-bourgeoises. L'Allemagne connaissant de 1924 à 1929 une période de stabilisation, la vie musicale est bouillonnante, avec l'émergence de personnalités fortes, notamment dans le domaine de l'interprétation comme les chefs Furwangler, Walter, Klemperer, Kleiber, le pianiste Schnabel, certains d'entre eux étant appelés à des postes de responsabilités.Pascal Huynh analyse les nouvelles tendances qui voient le jour, la musique communautaire, le fonctionnalisme, la "nouvelle objectivité" vers laquelle tend un Hindemith, et l'application de ces théories aux musiques pour la radio et le cinéma muet. La crise économique de 1929 va remettre tout en cause et les novateurs, bien que soutenus par la social-démocratie, doivent affronter le courant artistique conservateur inpiré par Hans Pfitzner et le parti National-Socialiste qui les assimile aux Bolchéviques. Arrivés au pouvoir, les nazis contraignent les musiciens d'origine juive à l'exil, Schoenberg, Schreker, Eisler, Weill, Krenek.
QUELQUES LIENS A EXPLORER
Le site officiel de Herbert Von Karajan, véritable mine d'or de documents écrits, sonores et vidéos
Sa biographie officielle (en anglais)
DES DOCUMENTS POUR ALLER PLUS LOIN
Le réalisateur : Gorg Wübbolt - présentation par lui-même sur son site internet
"Bienvenue sur mon site! Permettez-moi de me présenter: George Wübbolt, réalisateur pour la télévision. Voilà 25 ans que je travaille comme directeur des départements musique, arts du spectacle et documentaire de la chaîne ARD réseau, le ZDF/3sat, ARTE, et diverses productions indépendantes.
Au cours de mes années d'études et celles qui ont suivi, j'ai travaillé dans divers théâtres et opéras, plus récemment en tant que régisseur à l'Opéra d'État de Hambourg et l'Opéra Semper de Dresde. C'est de là que provient ma fascination pour la scène et le concert. En tant que musicien de formation et homme de théâtre , je sais comment travailler professionnellement avec les administrateurs et les chefs d'orchestre. J'ai travaillé avec les musiciens suivants : Simon Rattle, Gustavo Dudamel, Zubin Mehta, Yehudi Menuhin, Carlo Maria Giulini, Wolfgang Sawallisch, John Eliot Gardiner, Sergiu Celibidache, Lorin Maazel, Christoph Eschenbach, Lang Lang, Hilary Hahn, Rolando Villazón, Juan Diego Flórez, Elina Garanca et beaucoup d'autres .
L'idée de «captation d'événement", c'est à dire un événement est enregistré avec plusieurs caméras et il a publié en DVD / Blue Ray ou d'un site web, est récente. À un prix qui est moins cher que vous pensez. Si vous souhaitez en savoir plus sur les étapes de la "captations d'événement" vous pouvez visiter le sous-menu.
Mon documentaire "Karajan Maestro for the screen» a reçu le prix international Czech Crystal du Festival Golden Prague par en 2008. Début de 2009, il a été remporté à Cannes le Midem Classical Award 2009. Le film a également été nominé pour le Prix Europa, le prix Adolf Grimme et la Rose d'Or."
Traduction de Films Sacem
Autour du film - Regard critique de Richard Eckstein
Depuis la grande époque de Karajan, il convient de redéfinir les fondements d'une vieille polémique : il ne s'agit plus dorénavant de savoir s'il faut suivre la règle d'or de l'opéra baroque, « prima la musica et poi le parole », ou s'il est au contraire pertinent d'accorder plus d'importance au texte qu'à la musique. A l'heure actuelle, la question se pose plutôt en terme de concurrence entre la musique et l'image. « Masetro for the screen », Herbert von Karajan fut l'un des premiers chefs à exploiter son image médiatique d'une façon qui était loin d'être innocente.
Les conséquences directes et indirectes sont de poids : dans les concerts, de nombreux spectateurs souhaitent des places offrant une vue optimale, même si l'accoustique n'y est pas excellente. Depuis la construction de la Philharmonie de Berlin, conçue en amphithéâtre par l'architecte Hans Schaourn et aussitôt baptisée « Zirkus Karajani » (« Cisrque Karajani ») par la population berlinoise, les abonnés choisissent en premier les places d'où l'on peut voir le visage du chef. Le public semble estimer que certains inconvénients, comme une perception faussée de l'aternance entre les premiers et les seconds violons ou entre les premiers violons et les contrebasses, n'ont qu'une importance secondaire.
On peut même imaginer de pousser encore plus loin cet antagonisme entre la musique et l'image : si le « Regietheater » contemporain reprend toujours le même répertoire, c'est peut-être justement dans le but de mettre en valeur la dimension visuelle si longtemps négligée de ces œuvres... De plus, le genre de l'opéra était considéré comme le premier média artistique de référence et jouissait d'une suprématie universellement reconnue depuis l'âge d'or du bel canto, avant d'être supplanté par la film qui est le média visuel par excellence de notre époque.
Les symphonies et les poèmes symphoniques occupent toujours le devant de la scène musicale -présentés sous une forme traditionnelle, dans des salles de concert, dont les plus grandes disposent d'une capacité allant de 2000 à 3000 places. Mais apparemment, cela ne suffisait pas à celui que l'on surnommait à juste titre le « directeur général de la musique en Europe », c'est-à-dire Herbert von Karajan – né en 1908 à Salzbourg, nommé chef principal de la Philharmonie de Berlin en 1955, puis peu après directeur artistique du Staatsoper de Vienne, de la Scala de Milan et du Festival de Salzbourg.
Dans les années 1960, il avait compris l'impact de la télévision en tant que nouveau média de masse, à l'occasion d'une tournée au Japon avec « son » orchestre berlinois. Les instrumentistes avaient été vus par des millions de téléspectatuers grâce aux retransmissions en direct ou en différé, et les gens se mettaient soudain à les reconnaître dans la rue. En tant que musicien, Karajan avait tout d'abord féfini son travail artistique sur un plan purement auditif, auquel était venue s'ajouter une importante dimension visuelle. Par la suite, il s'est même lancé dans la réalisation de ses propres films.
Pour que le « phénomène Karajan » puisse atteindre le grand public, il s'était donné pour mission de développer une esthétique visuelle censée illustrer la sonorité orchestrale. Considérant que cette sonorité était l'oeuvre du chef d'orchestre, en l'occurence lui-même, il exigeait donc que l'image soit focalisée sur sa personne aussi souvent qu'il l'estimait nécéssaire. Cette vanité narcissique fit avorter certaines coopérations artistiques prometteuses avec des cinéastes tel que Henri-Goerges Clouzot et Hugo Niebeling.
Son modèle (au sens propre du terme) était « Fantasia » de Walt Disney qui offrait, selon ses dires, « la meilleure visualisation de la musique qui puisse se concevoir ». Il a certainement senti que la dimension virtuelle du dessin animé pouvait être remplacée par l'héroïsation du chef d'orchestre, représenté comme un géant tout-puissant. Tous les films de Karajan sont illuminés par une forte lumière en contre-jour. Les musiciens et le choeur étaient dipsosés sur des estrades spéciales, selon un ordre soigneusement étudié. Qu'il s'agisse de tournages en studio ou en concert, les prises de vues et les caméras étaient réglées à l'avance dans les moindres détails. Rien n'était laissé au hasard. Karajan exerçait un contrôle absolu et un pouvoir de plus en plus fort.
Texte de Richard Eckstein* (traduction française Sylvie Lapp),
extrait du livret du dvd Karajan, Maestro for the screen,
Arthaus Musik, 2008
*Richard Eckstein est rédacteur-en-chef au magazine allemand Crescendo. Il a étudié la musicologie à l'Université de Munich et la dramaturgie à l'Académie de Théâtre de Bavière.