Film du mardi 24 juillet
THE HIDDEN HEART,
A LIFE OF BENJAMIN BRITTEN AND PETER PEARS
Un film de Teresa Griffiths
2001, 70 min
The Hidden Heart fait découvrir Britten à travers sa relation avec le ténor Peter Pears. Le film se divise en trois parties où trois de ses œuvres principales (Peter Grimes, War Requiem, Mort à Venise) sont décortiquées, de leur genèse à la production et à l'accueil du public, ainsi que leur impact sur le compositeur. Outre les archives, les extraits de représentations récentes et les témoignages perspicaces des proches du couple contribuent à la poésie et la profondeur du film.
Ils se rencontrent à Londres. Britten est alors un jeune compositeur prometteur et Pears un chanteur plus confirmé. C’est le coup de foudre immédiat, leurs destins sont dès lors liés l’un à l’autre : « Benjamin trouvant dans la voix de Peter le véhicule parfait pour sa musique et Peter dans l’œuvre de Benjamin la musique parfaite pour sa voix » (Sue Phipps, nièce de Peter Pears)
Objecteur de conscience et pacifiste, après un séjour de trois ans aux Etats-Unis, Britten rentre à Londres, en 1943, après avoir lu un article qui l’inspire pour sa première œuvre magistrale : l’opéra Peter Grimes (1945). La première est donnée au Sadler’s Wells Opéra, malgré l’hostilité de certains musiciens envers celui qui n’a pas participé à la guerre. Le premier apprenti de Britten témoigne du succès: une fois le rideau baissé, un silence total pendant environ 30 secondes puis des applaudissements sans fin, « le souvenir de toute une vie » !
La soirée propulse la carrière de Britten. Lui seul peut alors recevoir la commande pour la réouverture de la Cathédrale de Coventry, détruite par des bombardements en 1940. War Requiem (1962) est une œuvre essentielle, où Britten expose son pacifisme, choisissant un ténor britannique (Peter Pears), une soprano russe et un baryton allemand. Le gouvernement soviétique interdit toutefois à Galina Vichnievskaïa de participer au concert. L’impact de la représentation est inouï : des gens agenouillés, un silence de mort, des sanglots à n’en plus finir…
Dans les années 70, Britten ne crée plus l’évènement. En composant Mort à Venise (1973), il créé son œuvre la plus personnelle, reflet de son angoisse intérieure, parlant d’amour et d’homosexualité, de beauté et de jeunesse, de la quintessence de ses idées sur l’opéra. Mais Britten est malade et il semble pressentir que cette œuvre est sa dernière. Jusqu’à la fin, Peter Pears est à ses côtés, l’échange de lettres, concluant ce documentaire, atteste combien l’un et l’autre se sont aimés et combien leur art a été magnifié par le talent de l’autre.
Présentation de la séance
OLIVIER BERNAGER. Après des études de philosophie et d'hébreu et une solide formation musicale en autodidacte (Piano, Ecriture, Esthétique musicale), Olivier Bernager se fait connaître en participant à la revue « Musique en Jeu » et en animant divers forums de musique contemporaine. Remarqué par le Direction de France Musique, il y fait ses débuts en 1974. Avec cinq de ses collègues, il participe à la création du « Matin des musiciens », émission pour laquelle il produit une trentaine de séries.
A partir de 1979, il se spécialise dans les magazines d'actualité avec notamment « Les champs de la terre » sur la musique traditionelle, « Microcosmos » sur l'éducation musicale. Après quatre années de 18h00/20h00, il anime pendant plusieurs années les matinales (7h00/9h00) de France Musique : « L'imprévu », et « Musique Matin ». A partir de 1998 il est responsable de plusieurs émissions de débat dont : « Le Conservatoire » et « Ouvert le Dimanche », puis se tourne vers la programmation avec « Le cabinet de curiosités » et son émission actuelle : 'XXème Parralèle ».
A travers une Société de Production de Documentaires qu'il créée en 1995, Ludwigvan, il produit des portraits d'artistes réalisés par Michel Dieuzaide : « Madeleine, épouse Milhaud », « Humair, solitaire solidaire », « Vlado Perlemuter, un pianiste ». Il produit et réalise également plusieurs spots publicitaires TV pour Sony et Philips ainsi que des films institutionnels. Pour la télévision, il est co-auteur avec François Manceaux de la collection « Une leçon particulière de musique » (Production Com'unimage) dans laquelle il insuffle les mêmes principes d'exigence que pour ses émissions de radio. Cette collection est éditée en 2011 sous le label Harmonia Mundi et fait l'objet d'une rediffusion complète par Arte pour l'anniversaire de ses 20 ans. Cet événement le conduit à créer avec François Manceaux le label Okarinamusique.com pour valoriser la « pédagogie musicale en images ». Il est l'auteur de nombreux articles (Encyclopedia Universalis, Monde de la Musique, Classica...), d'un recueil de poésies publié chez Cadex Editions et d'une série de nouvelles. Il est aussi un pianiste amateur passionné et averti.
Photo © Radio France
RENCONTRE-DEBAT AVEC LE PUBLIC
DES DOCUMENTS POUR ALLER PLUS LOIN
Benjamin Britten
En 1927, à l'âge de treize ans, BRITTEN prend des cours de composition avec Frank BRIDGE dont l'influence sera décisive.
De 1930 à 1933, il étudie au Royal College of Music de Londres sous la direction de John IRELAND pour la composition et d'Arthur BENJAMIN ainsi qu' Harold SAMUEL pour le piano.
Mais c'est en 1934, lors du Festival de la Société Internationale de Musique Contemporaine à Florence, que BRITTEN fait brillamment son entrée en scène en tant que compositeur avec la création du Quatuor Fantaisie pour hautbois et cordes.
Durant la seconde guerre mondiale, il est objecteur de conscience et échappe au service militaire.
En 1945, la création de Peter Grimes marque le début de sa carrière de musicien dramatique ainsi que la naissance de l'opéra anglais moderne.
En 1947, BRITTEN crée l'English Opera Group et en 1948, il fonde avec le chanteur Peter PEARS le Festival D'Aldeburgh, qui devient rapidement une institution culturelle de la plus haute importance en Angleterre.
BRITTEN reçoit l'ordre du mérite en 1965 et en juin 1976, quelques mois avant sa mort, la reine Elisabeth II l'élève au rang de pair de Grande-Bretagne, faisant de lui le premier compositeur à porter le titre de lord.
BRITTEN est le compositeur le plus important de la musique anglaise du XXème siècle.
C'est un éclectique dans la mesure où il subit des influences très diverses avec les Elisabéthains, VERDI, MAHLER et DEBUSSY. Mais BRITTEN s'exprime dans un langage très personnel dont l'exigence, l'originalité et la fantaisie constituent les traits dominants.
S'il a consacré la majeure partie de sa vie au théâtre lyrique, il est aussi l'auteur d'oeuvres symphoniques et de musique de chambre dans lesquelles se manifestent une vive originalité d'écriture et un lyrisme intense.
OEUVRES MARQUANTES
- 1939 Les Illuminations, cycle de chant
- 1940 Sainfoin da requiem
- 1945 Peter Grimes, opéra
- 1946 Variations et fugue sur un thème de PURCELL
- 1946 The Rape of Lucrecia, opéra
- 1949 Spring symphony
- 1951 Billy Bud, opéra
- 1953 Gloriana, opéra
- 1954 The turn of the screw, opéra de chambre
- 1962 War Requiem
Biographie réalisée par le service de documentation de Radio France
PETER GRIMES
Le héros du premier opéra de Benjamin Britten suscite plus de soixante ans après sa création (1945), un débat jamais résolu. Est ce parce que au fond des choses, dans leur identité tenue secrète par le compositeur, les personnages de Britten se dérobe à toute identité claire, parlant au nom de leur concepteur pour une ambivalence qui nourrit leur forte attraction? Rien de plus fascinant sur la scène qu'un être véritable, contradictoire et douloureux, exprimant le propre de la nature humaine, velléités, espoirs, fantasmes, soupçons, poison de la dissimulation, terrible secret. A la manière des héros d'Henri James, le héros ne livre rien de ce qu'il est : il laisse en touches impressionnistes, suggestives, affleurer quelques clés de sa complexité.
A propos de Peter Grimes, Britten et son compagnon le ténor Peter Pears qui créa le rôle, reviennent à plusieurs reprises sur l'identité du héros : solitaire et presque sauvage mais bon et foncièrement compassionnel. Sa différence se révèle dans le rapport à la société qui l'entoure : "à part" : donc coupable. Le soupçon qu'il suscite, vient de sa différence. Est-il coupable d'avoir tuer ses apprentis pêcheurs? Britten en épinglant le naturel accusateur des citoyens, décrit la haine du différent, la délation facile, la peur de l'autre. Que Grimes cache un autre secret : tel serait en définitive le vrai sujet, mais infanticide, il ne l'est pas. L'homme incarne la figure du paria car il y a en lui, terrée, imperceptible, une profonde et inavouable blessure.
Sa nature sombre et brutale favorise le soupçon. Il est en décalage avec le monde, un "idéaliste torturé". En cela, Britten n'a pas franchi la frontière de la barbarie et de la méchanceté du personnage de Georges Crabbe (1754-1832) dont le Poème a inspiré le sujet de son opéra. Britten reprend le cadre, ce lieu battu par les vents et les embruns, le village d'Alteburgh, village de marins mais surtout berceau du compositeur. Mais il s'autorise un changement primordial dans la personnalité du héros.
Peter Grimes, anecdote ou mythe?
L'idée d'un enfant sacrifié, image récurrente dans l'oeuvre de Britten, exprime la perte de l'état d'enfance et d'insouciance. Le héros de Britten est un être tragique, auquel fut arrachée trop tôt l'innocence au monde. La force de la souillure originelle poursuit le compositeur.
Certains ont souhaité donner à la figure de Peter Grimes, le visage de l'homosexuel honni. C'est vrai et c'est faux. Vrai, pourquoi pas ? Britten et Pears ne cachaient rien du couple qu'ils formaient. Et alors? Avons-nous envie d'ajouter. En quoi cela éclaire-t-il la perception et surtout la compréhension de l'oeuvre?
Il s'agit plutôt d'une allégorie contre l'intolérance. Tout autre relecture aussi pertinente soit-elle, mise en rapport avec la vie et l'identité de l'auteur, réduit considérablement la portée de l'oeuvre. D'ailleurs, lorsque John Vickers chante le rôle, il refuse de ne voir en Peter Grimes, qu'un homosexuel car cela enferme la perception du personnage dans une vision étroite et anecdotique, voire colle au rôle une revendication militante qui est étrangère à la sensibilité de Britten.
Les interludes marins élèvent manifestement l'ouvrage au niveau de l'allégorie : la légende tragique de Grimes gagne grâce aux commentaires de la musique, une portée poétique indiscutable, rehaussant l'anecdote marine à l'échelle du mythe.
Poids de l'interdit
L'interdit qui pèse sur les oeuvres de Britten et colore immanquablement l'identité de ses héros, est renforcé par le cadre légal à son époque. Toute évocation ou description d'une relation homosexuelle est punie par la loi britannique jusqu'en 1967. Le procès d'Oscar Wilde et son humiliation publique, sont encore dans les mémoires. Contexte qui nous semble aujourd'hui terrifiant quand ont été célébrées officiellement les noces d'Elton John, après que le mariage homosexuel ait été autorisé.
Pour Britten, à l'endroit de Grimes, il s'agit moins d'un homosexuel en prise avec la morale de son temps, que du conflit habituel sur la scène lyrique, de l'individu opposé au système ; et sur le plan psychologique, la complexité tragique d'un personnage, sombre et solitaire, impuissant à exprimer ses sentiments : observateur du bonheur des autres et non acteur de sa propre destinée. Pour Britten, Grimes donne le prétexte d'une lecture de la folie humaine : haine sadique de la société, passivité et démence du protagoniste. Le soupçon d'infanticide à l'endroit du héros, aiguise d'autant plus la noirceur du tableau.
La suite de l'écriture de Britten met en scène des héros solitaires, accablés par le poids du secret. Chaque nouvel opéra, est un acte ajouté au chapitre de la tragédie personnelle : comment vivre avec le poids d'un secret où la perte de l'innocence, le poison d'une malédiction suggérée jamais dite explicitement, l'expérience des pulsions homosexuelles, en particulier pédophiles, disent ce mal-être imperceptible dont la tension conflictuelle donne son étoffe au héros lyrique ? Albert Herring, Billy Budd, Le tour d'écrou, Owen Windgrave, Mort à Venise disent cette obligation de l'être à nier au non de la morale, sous la pression de la société permissive et puritaine, l'expression de ses fantasmes les plus intimes. Et dans ce paysage diffus, où le refoulé exacerbe l'angoisse de vivre, l'amour des jeunes garçons aggrave encore une situation qui avoisine le souffre.
Article d' Alexandre Pham publié dans Classiquenews.com
WAR REQUIEM
filmé par Arte pour Arte Live Web le 16 juin 2011
Le War Requiem, opus 66 est un requiem non liturgique composé par Benjamin Britten. Cette œuvre vocale exige trois solistes (soprano, ténor, baryton), un chœur, un chœur d'enfants, un orgue, et deux orchestres (un grand orchestre et un orchestre de chambre). Son exécution demande environ 85 minutes.
Genèse de l'œuvre. Le War Requiem fut créé le 30 mai 1962 pour la reconsécration de la cathédrale de Coventry, détruite pendant la guerre par des bombardements. La cathédrale avait été reconstruite sur un plan de Basil Spence et l'œuvre de Britten lui a été commandée pour la cérémonie d'inauguration de celle-ci. Pour cette cérémonie également Michael Tippett écrivit un opéra: King Priam.
Il ne s'agissait pas pour Britten de réaliser une œuvre exaltant l'armée britannique victorieuse. Bien plutôt, il y vit une occasion de manifester son rejet de la guerre et de ses atrocités. C'est ainsi qu'il eut l'idée brillante d'associer le cérémonial du Requiem romain à la poésie de Wilfred Owen. Ce dernier, poète bien plus connu en Angleterre qu'en Europe continentale, était un des mieux à même de témoigner de l'horreur de la guerre dans la mesure où, engagé volontaire lors de la Première Guerre mondiale, il avait eu à payer le plus lourd tribu à celle-ci. C'est dans les tranchées des Flandres qu'il écrira un texte d'une amertume cuisante sur ce qu'il vivait en tant que soldat de l'armée britannique, avant de mourir le 4 novembre 1918, une semaine avant l'armistice. Ajoutons à cela qu'Owen était de notoriété publique homosexuel et l'on comprendra que Britten avait trouvé là exactement la sensibilité qu'il cherchait à donner à son œuvre.
La distribution prévue pour la création mérite d'être notée car elle manifeste bien l'intention de Britten. Elle comprend en effet un baryton allemand (Dietrich Fischer-Dieskau), une soprano russe (Galina Vichnevskaïa), ainsi qu'un ténor anglais (Peter Pears). Conçu dans une ambition de réconciliation et de devoir commun de tous les peuples d'éviter la réitération d'un tel conflit, le War Requiem est une méditation, parfois extrêmement douloureuse, sur les pertes suscitées par les guerres et qui n'épargnent personne.
Première et autres représentations. Pour la première, il était prévu que les solistes soient Galina Vichnevskaïa (russe), Peter Pears (anglais) et Dietrich Fischer-Dieskau (allemand) afin de montrer un esprit d'unité. Malheureusement l'URSS ne permit pas à Vishnevskaya de se rendre à Conventry pour le concert et elle fut remplacée au dernier moment par Heather Harper.
La première a eu leu le 30 mai 1962 dans la cathédrale reconstruite de Coventry avec l'orchestre de la ville de Birmingham et l'ensemble Melos. Cette représentation a été dirigée par Meredith Davies et le compositeur. Il y a eu un profond silence entre les dernières notes et les applaudissements mais ce fut un triomphe. Après la première, Britten écrivit à sa sœur au sujet de sa musique : « J'espère que cela fera réfléchir un peu les gens ». Britten a mis sur la page de titre de la partition cette citation de Wilfred Owen: « My subject is War, and the pity of War / The Poetry is in the pity ... / All a poet can do today is warn. »
La première de l'hémisphère sud eut lieu à Wellington en Nouvelle-Zélande le 27 juillet 1963. Elle est jouée par l'Orchestre national de Nouvelle-Zélande et la Royal Christchurch Musical Society avec pour solistes Peter Baillie, Graeme Gorton et Angela Shaw. Le chef d'orchestre était John Hopkins. La première nord-américaine eut lieu ce même jour à Tanglewood avec Erich Leinsdorf dirigeant le Boston Symphony Orchestra avec comme solistes Phyllis Curtin, Nicholas Di Virgilio, Tom Krause et avec le Chorus Pro Musica et le Columbus Boychoir.
La première néerlandaise eut lieu pendant le Holland Festival en 1964. Le Concertgebouw Orchestra d'Amsterdam et le Chœur de la Radiophonie hollandais étaient dirigés par Bernard Haitink ; l'orchestre de chambre (composé de musiciens du Concertgebouw Orchestra) était dirigé par Britten lui-même. Les solistes étaient Vishnevskaya, Fischer-Dieskau and Pears, dans leur première apparition publique ensemble.
Une interprétation de ce requiem a été jouée par l' English Chamber Choir à Your Country Needs You, un événement rassemblant des voix s'opposant à la guerre organisé par le The Crass Collective en novembre 2002.
Extraits de l'article « War Requiem » de Wikipédia
MORT A VENISE
Britten traite après Visconti, le sujet rédigé par Thomas Mann. Le désir de l'adulte pour l'enfant, son regard contemplatif provoque ici une résolution inverse. Le sujet désiré n'est pas sacrifié. Rongé par le remords et la culpabilité, c'est l'adulte désirant qui succombe à la terrible vérité de ses fantasmes pédophiles. En esthète impuissant, Aschenbach reste fasciné, "médusé" au sens propre, par la beauté apollinienne du garçon Tadzio. L'adorateur semble écartelé entre l'aspiration à la beauté et la crudité charnelle qui compose aussi sa coupable attraction. En décidant de se taire toujours, Aschenbach semble avoir choisi l'autodestruction et l'anéantissement. Chaque silence dicté par le remords, quand paraît le jeune adolescent, est semblable à un coup de poignard. Et chaque regard désirant se retourne contre lui : il se transforme en lente agonie.
Britten a remarquablement illustré l'évolution de la contemplation vécue par Aschenbach, en ses débuts spirituelle et esthétique, ensuite confusément trouble et sexuelle (le cauchemar de la Bacchanale dans lequel Aschenbach rêve qu'il rejoint Tadzio) : l'apollinien, le bacchique... au final, dans une vision pessimiste, l'idéalisme et le spirituel sont corrompus par le poison du désir...
Golo Mann : de Doktor Faustus à "Death in Venice"
Avant de mourir en 1955, Thomas Mann aurait reconnu que, si son Doctor Faustus devait être porté à l'opéra, il n'y aurait qu'un musicien capable de le faire : Benjamin Britten. Or depuis janvier 1971, le compositeur qui se sait condamné, -il souffre d'une insuffisance de l'aorte : endocardite-, souhaite écrire un dernier opéra, "pour Peter".
Britten a bien connu l'un des fils Mann, Golo, à Brooklyn, pendant son "exil américain". Les deux hommes se retrouvent et Golo Mann, lui souffle l'idée d'adapter" Mort à Venise" que Visconti réécrit pour le cinéma.
Britten partage avec Thomas Mann, la fascination pour la ville suspendue sur les eaux : objet des fantasmes les plus poétiques, la Cité offre aux créateurs la matière au rêve, tant recherchée par les artistes. C'est moins la Cità que les plages du Lido, cette longue bande de terre entre deux mers, qui suscite chez Mann, la révélation de la beauté, dans la figure du jeune Tadzio qui lui semble être dans sa primitive et juvénile beauté, l'incarnation renouvelée des dieux. Une telle expérience esthétique devait évidemment marquer profondément Britten qui y trouve, au bord de sa vie, l'expression exacte de sa propre expérience, artistique et intime.
Dès octobre 1971, le compositeur et son compagnon, Peter Pears sont à Venise. Mais le processus créatif, hier si fluide, demande au Britten malade et amoindri, davantage de temps et de concentration.
On sait que Mann rédigea sa nouvelle au moment où Gustav Mahler trouva la mort, en 1911. Les deux événements, écriture du roman décisif pour Britten et décès d'un compositeur admiré, augmentent l'attraction du musicien pour le texte de l'écrivain. L'année 1971 est marquée aussi par l'engagement, le dernier, de Britten dans la conduite musicale de son festival d'Aldeburgh : il interrompt la composition de "Death in Venice", pour s'immerger dans les Scènes de Faust de Robert Schumann, dont la réalisation au concert reste mémorable, comme en témoignera Dietrich Fischer Dieskau qui chante dans la production.
En 1972, le travail redouble pour l'opéra. Britten s'est assuré la complicité de sa librettiste Myfanwy Piper. L'action est portée par le rôle central d'Aschenbach, chanté par Pears : ses monologues, accompagnés sobrement par le piano, structurent toute la narration. Autour de lui, sept personnages paraissent, tous incarnés par le même interprète. Chacun compose diverses facettes d'une même force souterraine dont l'activité conduit en un rituel initiatique, Aschenbach vers la mort. Chacun est un thuriféraire qui l'aide à passer les portes de l'au-delà, traverser le styx, passé de l'autre côté du miroir. Observateur et contemplateur, Aschenbach regarde l'éphèbe Tadzio et sa famille qui ne chantent pas : pour stigmatiser le monde dans lequel ils évoluent, un monde dans lequel en réalité, ne pénètre jamais Aschenbach, Myfanwy Piper imagine la danse. Tous animent ainsi une chorégraphie dont le monde est parallèle à celui du héros, Aschenbach.
Synopsis
Opéra en deux actes
(Acte I) Scène I : Aschenbach solitaire traverse le cimetière de Munich. Sa femme est morte et sa fille vient de se marier. Un voyageur lui rappelle la fascination pour Venise. Il décide de s'y rendre.
Scène II : arrivée dans Venise, transfert crépusculaire vers le Lido.
Scène IV : accueil du directeur de l'Hôtel des Bains au Lido. Au moment du dîner, Aschenbach voit pour la première fois le jeune Tadzio : des sonorités orientales et mystérieuses qui rappellent le Gamelan, expriment la beauté foudroyante du garçon et l'impossibilité pour son adorateur d'exprimer aucun mot. C'est la musique qui évoque le choc de la vision.
Scène V : sur la plage du Lido. Aschenbach continue d'être traversé par son désir pour le jeune éphèbe. Il programme de partir mais une erreur d'enregistrement de ses bagages retarde son départ. Peu à peu, le climat étouffant de Venise se précise.
(Acte II) Scène VIII : après s'être rendu chez le barbier, Aschenbach a la confirmation que Venise est le foyer d'une épidémie de choléra. Laquelle est tenue secrète par les autorités de la ville.
De fait, le vieil homme succombe à la maladie comme il est terrassé par l'ivresse des sens que lui a causé, la beauté révélée de l'adolescent polonais, et la confusion et la folie qui se sont emparées de lui.
Scène XIV : Aschenbach sur la plage du Lido contemple à nouveau son idole. Il assiste au départ de la famille inquiète face à la diffusion du choléra. Aschenbach se morfond sur sa chaise, seul. Il meurt sur les accords de l'hymne à Apollon. Les résonances incantatoires et célestes du vibraphone semblent l'emporter.
Peter Pears indique l'importance que revêt "Death in Venice" pour Britten, lui-aussi aux portes de la mort lorsqu'il compose son opéra : l'ouvrage résume la quête artistique et personnelle du compositeur, en ce sens, la partition peut-être considérée comme son testament.